Pile de journaux

À l’ère de la post-vérité, l’ancrage local comme « garde-fou »

Société

À l’ère de la post-vérité, l’ancrage local comme « garde-fou »

L’ère de la post-vérité bouleverse le journalisme. Dans ce contexte, les médias locaux doivent relever le défi de se démarquer face à une surcharge informationnelle.

Pile de journaux

Pile de journaux locaux. Crédit : Image libre de droit / Pexels

Delphine Hernu, journaliste à Canal FM, une radio associative de l’Avesnois dans le nord de la France, témoigne d’un basculement médiatique : « La méfiance envers les médias est réelle, et elle s’est cristallisée sur les chaînes d’information en continu. Mais curieusement, nous, journalistes locaux, avons souvent été épargnés ». Selon elle, cette méfiance accrue ne concerne pas tous les médias de la même manière. « Les citoyens savent que nous connaissons le terrain, les acteurs locaux, leur réalité. Cela crée un lien de proximité et une confiance que les médias nationaux ont parfois perdue », explique-t-elle.

Un exemple récent illustre bien cette particularité : lors de la crise des Gilets jaunes, Canal FM a couvert les évènements en donnant la parole aux manifestants locaux, tout en explorant l’impact des revendications sur le territoire. « Les habitants nous disaient : on vous fait confiance, vous ne déformez pas nos propos comme on l’a vu sur d’autres chaînes ». La journaliste commente : « C’était frappant ! ».

Dans un univers médiatique saturé, la quantité d’informations disponible dépasse largement la capacité des citoyens à les assimiler. Pour Delphine Hernu, la clé est de revenir à l’essentiel : « On a un garde-fou, c’est le local. Notre boussole, c’est toujours notre territoire ».

Plutôt que tenter de couvrir chaque sujet brûlant à l’échelle nationale ou internationale, Canal FM a choisi de filtrer les informations à travers le prisme local. Par exemple, lors de la pandémie de COVID-19, la rédaction a privilégié les témoignages de commerçants et d’associations locales sur l’impact de la crise. « On ne cherche pas à rivaliser avec les grandes chaînes sur l’analyse globale de la pandémie, mais à expliquer comment elle touche directement les habitants de notre territoire » précise-t-elle.

« La rapidité de l’information nuit à sa profondeur »

La post-vérité pousse les médias à adopter une approche plus pédagogique. « Il faut revenir à des bases simples : expliquer, contextualiser et permettre aux citoyens de se faire leur propre opinion, explique Delphine Hernu. Face à l’infobésité, et à la montée des fake news, l’innovation est indispensable.

La journaliste souligne l’importance de formats plus immersifs et interactifs. « On pourrait imaginer des podcasts qui suivent des habitants sur plusieurs mois pour voir comment une réforme nationale impacte leur vie quotidienne. Ce genre de format attire, car il est à la fois authentique et proche du public », propose-t-elle.

Mais, pour la journaliste, l’innovation ne doit pas faire oublier l’essentiel : la lenteur et la réflexion. « La rapidité de l’information nuit à sa profondeur. Nous, on prend le temps de réfléchir en équipe avant de publier. C’est notre manière de lutter contre l’infobésité et la désinformation », affirme-t-elle. Pour la journaliste locale, le rôle des médias locaux est plus crucial que jamais : « les gens sont perdus dans ce flot continu d’informations. Notre rôle est de leur donner des repères, de leur permettre de comprendre leur environnement immédiat pour mieux s’y situer ».

Dans un monde saturé d’informations et dominé par les émotions, les médias locaux ont une carte à jouer : celle de la proximité. En se concentrant sur leur territoire, en privilégiant la pédagogie et en innovant dans leurs formats, ils peuvent devenir des refuges de confiance et de vérité. « Le journalisme local, c’est l’anti-fast média. On prend le temps, on creuse, on explique. Et c’est peut-être ce dont les citoyens ont le plus besoin aujourd’hui », résume Delphine Hernu.

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Réseaux sociaux : pourquoi ces grands médias quittent X ?

Ouest-France, Sud Ouest, Mediapart : plusieurs journaux ont suspendu leur activité sur X, dénonçant le climat haineux et la désinformation. Si certains journalistes continuent d’utiliser eux-mêmes la plateforme, une migration vers des alternatives comme Bluesky semble se dessiner.

Personne supprimant l'application X de son téléphone

Ces médias qui font une croix sur X, la fausse bonne idée

Entre le monde médiatique et le réseau social X (anciennement Twitter), rien ne va plus. Motif de rupture : phénomène de désinformation exacerbé et propriétaire intégré au futur gouvernement d’extrême droite de Donald Trump. En réponse, les médias quittent massivement la plateforme, abandonnant les utilisateurs de X au cœur d’une spirale de fake news.

Ecran de connexion de X

Partir ou rester : le dilemme des journalistes sur X (ex-Twitter)

Société

Partir ou rester : le dilemme des journalistes sur X (ex-Twitter)

Depuis novembre, face à l’augmentation d’infox et de contenus haineux, des médias comme Ouest-France ou Médiapart quittent le réseau social d’Elon Musk. D’autres choisissent pourtant de rester pour continuer d’informer.

Ecran de connexion de X

Selon une étude de Emarketer, spécialisé dans l’étude de marché, depuis le rachat par Elon Musk en 2022, X aurait perdu 7 millions d’utilisateurs actifs par mois. / Image d’illustration © Périne SAUVAGE

“Rester ou ne pas rester ?”, telle est la question. Après le départ du quotidien britannique The Guardian, suivi des groupes de presse régionaux français Ouest-France et Sud Ouest, c’est autour de Médiapart de dire au revoir à X (ex-Twitter). Si des médias et journalistes suivent cet exode, d’autres, comme Reporterre, ont décidé de rester pour faire face aux infox et à la montée de l’extrême droite. 

C’est la nomination, le 12 novembre, du milliardaire et propriétaire de X, Elon Musk, à la tête d’un département de “l’efficacité gouvernementale”, qui a incité certaines rédactions à quitter la plateforme. Devenue trop “toxique” selon The Guardian, “une zone de non-droit” pour François-Xavier Lefranc, président du directoire de Ouest-France, le réseau social X n’est plus, pour beaucoup, en adéquation avec les valeurs journalistiques. “Il y a une question déontologique de ne pas continuer à enrichir et à légitimer ce réseau”, observe la journaliste Salomé Saqué, dans l’émission “Le Téléphone Sonne” de France Inter.

Faire face aux infox

Depuis son rachat par le PDG de SpaceX et de Tesla, en avril 2022, la plateforme de microblogging est devenue un espace où messages réactionnaires et Fake News sont devenus maîtres. En cause, l’absence de modération et un algorithme qui met en avant ces contenus. “Je vois de plus en plus de publications problématiques, et complètement à côté de mes valeurs” constate Louise Mohammedi,  journaliste à Reporterre. 

Malgré la tournure que prend X, la journaliste  a tout de même décidé de rester. “Nous ne pouvons pas, en tant que journalistes, ignorer une partie d’internet, d’autant plus qu’elle devient remplie d’infox”. Selon elle, rester sur le réseau social est aussi une question déontologique. Faire face aux fausses informations et aux théories du complot est une mission trop importante pour pouvoir quitter la plateforme. C’est pourtant pour cette raison que d’autres journalistes ont quitté X, invoquant la “Loi de Brandolini”. Cette théorie montre que démentir une infox prend dix fois plus d’énergie que de la diffuser.

Montée de l'extrême droite

Le 3 décembre, Reporterre, média indépendant, annonçait ne pas avoir l’intention de quitter le réseau social, en justifiant qu’il “n’y avait pas de raison de laisser le terrain à l’extrême droite”. Au nom d’une liberté d’expression totale, Elon Musk a fait de sa plateforme un levier pour les mouvements conservateurs. “Rester est une manière d’apporter de la contradiction à de nombreux posts climatosceptiques sur la plateforme” ajoute Louise Mohammedi. Rester pour informer et mettre en avant des sujets importants comme l’écologie est la position qu’ont choisie Reporterre et ses journalistes. 

Selon Statista, portail de statistiques allemand en ligne, en 2023, presque un français sur deux était climatosceptique. Si l’origine de cette tendance n’est pas exacte, les réseaux sociaux comme X restent le principal canal de diffusion de ces idées.

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