Rita, femme sans-abri face aux violences de la rue

Rita, femme sans-abri face aux violences de la rue

Précarité menstruelle et violences sexistes et sexuelles, le rapport “Femmes sans abri, la face cachée de la rue”, de la Délégation aux droits des femmes, parut en octobre 2024, montre les difficultés d’être une femme à la rue. Sans-abri depuis deux ans et demi, Rita reste pourtant souriante et prête à aider autrui.

femme sans abri

Rita, sur les marches de l’Opéra de Montpellier, mercredi 26 février 2025. Crédits : Périne SAUVAGE

On ne la croise jamais dans l’Écusson sans son immense sac à dos. Aussi grand qu’elle, Rita ne le quitte jamais, telle une tortue et sa carapace. À l’intérieur, toute sa vie y est rangée : vêtements, matelas, sac de couchage, lingettes et paquets de clopes, accumulés depuis deux ans et demi. Âgée de 70 ans, Rita fait partie des 40 % de femmes vivant à la rue, parmi les 350 000 sans-abris en France. Un chiffre en hausse depuis la dernière estimation à 330 000 personnes en 2023, selon le dernier rapport de la Fondation pour le Logement des Défavorisés (ex-Fondation Abbé-Pierre), paru le 4 février 2025.

Souriante et sociable, Rita confie cependant la part d’ombre de la vie à la rue. « Je préfère rester seule. Les hommes abusent et les femmes sont méchantes », justifie-t-elle. Insultes, agressions, vols… la liste des violences de la rue est longue. Elle s’est ainsi déjà faite arracher sa couverture et volé sa tente, sans qu’elle ne puisse rien faire.

Violences sexuelles

Rita subit d’autant plus ces violences, que c’est une femme, une cible facile. « Les femmes à la rue ont une double peine. Elles sont sans-abris et ce sont des femmes », explique Céline Bouloc, responsable d’antenne d’Action Froid Montpellier, association venant en aide aux personnes sans-abris.

« Et puis quand t’es une meuf SDF, qu’est-ce qu’on te dit ? T’as qu’à aller sucer des bites, au parking, derrière la poubelle… », interrompt une autre femme sans-abri. Propositions de “services” en échange d’argent, voire agressions sexuelles, font partie des violences que subissent les femmes dans la rue. Rita en a même appris les tarifs : 5 € la “pipe” et 10 € la “branlette”.

Le rapport sur la situation des femmes vivant à la rue en France, réalisé par la Délégation aux droits des femmes, en octobre 2024, constate cette généralisation des violences sexuelles envers les femmes sans-abris. Après un an passé dehors, 100 % des femmes sont victimes de viol, « quel que soit leur âge, quelle que soit leur apparence. Pour elles, c’est un trauma parmi d’autres », indique le rapport.

« Passer incognito »

Seule solution face à ces violences, se cacher. Action Froid Montpellier le remarque lors de leurs maraudes. Il y aurait plus de femmes vivant à la rue qu’on ne le croirait. Rita le confirme, et remarque même une augmentation à Montpellier. Les femmes se cachent ainsi pour éviter les violences de la rue et se fondent dans la masse la journée. Ces femmes « ne dorment pas, elles se cachent », soulignait ainsi Laurence Rossignol, sénatrice rapporteuse, dans le rapport d’octobre 2024.

De son côté, la septuagénaire a élaboré, durant deux ans, une stratégie pour ne pas être vue. Toute sa journée est chronométrée. Le matin, elle se réveille à 7h, pour éviter les personnes qui se rendent au travail. Le soir, rebelote, elle attend que son téléphone affiche 22h, pour s’installer pour la nuit. « Passer incognito, c’est très important. Sans mon sac, les gens ne s’imaginent pas que je suis SDF ».

« Même à la rue, il y a la peur de la tâche »

Ce sac, justement, est toujours près d’elle. Dans sa sacoche avant, entre les divers papiers d’identités et d’associations, sont glissées des serviettes hygiéniques. Elles ne sont pourtant pas pour elle, cela fait un moment que Rita n’a plus ses règles. « C’est pour les autres », ces jeunes femmes qui vivent, comme elle, dans la rue.

Derrière cet acte de générosité, la septuagénaire pense en réalité à la petite fille qu’elle était. Fuyant ses parents, elle s’est retrouvée à la rue pour la première fois à 13 ans. Si aujourd’hui, grâce aux maraudes et associations, il est plus facile de se procurer des protections périodiques, en 1968, il n’y avait rien. « Même à la rue, il y a la peur de la tâche », il fallait donc se débrouiller.

Parfois, la jeune Rita volait dans les supérettes, ou arrachait des bouts de t-shirt pour les placer dans le fond de sa culotte. Tout était bon pour éviter la fameuse auréole rouge. Tout, sauf demander aux passants. Il ne fallait surtout pas que les gens sachent qu’elle vivait à la rue, c’était trop honteux. Aujourd’hui, Rita en parle avec un sourire en coin, et garde précieusement ses serviettes hygiéniques devant sa sacoche, prête à les donner à celles qui en ont besoin.

En plus de l’entraide féminine, ce qui est important pour Rita dans la rue, c’est d’avoir une routine. Des habitudes qu’elle suit de manière méticuleuse, quotidiennement. Avant de commencer chaque journée, elle prend toujours quelques minutes pour se maquiller. Un geste qui peut paraître dérisoire, mais qui a toute son importance. « Le jour où vous me verrez sans maquillage, c’est que c’est la fin ». Pour elle, ces simples gestes traçant ses sourcils d’un trait droit rouge bordeaux, et le noir qui souligne son regard, sont une source de motivation pour se lever et commencer sa journée. Ce n’est pas esthétique, affirme Rita, mais bien pour elle-même. « Si je ne prends pas soin de moi, qui le ferait ? ».

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